Les débuts de l'ORL dans les hôpitaux de Nantes

par le Professeur F. Legent - Janvier 2003

Les débuts de l'ORL
dans les hôpitaux de Nantes.

L’Oto-Rhino-Laryngologie s’est constituée vers les années 1870, lorsque des otologistes et des laryngologistes constatèrent qu’ils avaient recours aux mêmes moyens d’éclairage. En 1875 apparaissait la première revue d’ORL en France, les Annales des Maladies de l'oreille et du Larynx, (otoscopie, laryngoscopie, rhinoscopie). Une Société Française d’Otologie et de Laryngologie fut créée en 1882, une des toutes premières sinon la première des sociétés françaises de spécialité. C’est alors qu’apparurent en fait les véritables ORL polyvalents. Ainsi, l’Oto-Rhino-Laryngologie est probablement la seule discipline où la spécialité naquit avant les spécialistes. Dans les pays de langue allemande, les services hospitaliers furent pendant plusieurs décennies consacrés uniquement à l’otologie ou à la rhinolaryngologie. En France, la création de services assurant l’ensemble de l’ORL, ou au moins de consultations, se fit beaucoup plus tôt, d’abord en quelques villes de province dont Nantes.
En 1885, le Docteur G. Gouraud demandait à la Commission administrative ( le Conseil d’administration de l’époque) l’autorisation de « faire une chirurgie gratuite pour les affections de la gorge, des oreilles et des fosses nasales à la salle d’ophtalmologie , le mercredi et le vendredi» (fig.1). En réponse à la demande d’avis des médecins par les Administrateurs, le médecin-chef et le chirurgien chef des Hospices de Nantes écrivaient aux Administrateurs, le 9 décembre 1885, qu’après avoir pris l’avis de leurs collègues, « il y avait avantage pour les élèves » à accéder à la demande du Docteur Gouraud (fig.2) . L’ORL était ainsi la deuxième spécialité reconnue à Nantes, après l’ophtalmologie qui bénéficiait depuis 1880 d’un service de clinique confié à l’École de médecine, à l’instar d’autres villes comme Lyon , Bordeaux ou Montpellier.
Pendant plus de vingt ans, l’activité hospitalière ORL fut effectuée gratuitement par le spécialiste, tout comme étaient gratuites les consultations et les interventions. L’hôpital était réservé aux indigents. L’Association syndicale des médecins de Loire Inférieure n’hésitait pas à le rappeler et à intervenir auprès du Maire, en 1893, pour « prendre des mesures énergiques pour empêcher que des gens aisés, et même riches, se fassent soigner gratuitement dans les hôpitaux …destinés aux malades indigents à l’exclusion de tout autre catégorie de malades . Donner une place à un malade qui peut se faire soigner chez lui, c’est en priver l’indigent qui a droit à ce lit indûment occupé » (fig.3 et 4). Aussi la part prépondérante de la spécialité était réalisée en ville
En, 1899, le Dr Gouraud présentait sa démission fig.5) . Il eut pour successeur le Dr Victor Texier qui l’aidait et le remplaçait depuis plusieurs années, à la satisfaction du corps médical (fig.6 et 7). À cette occasion, la Commission administrative avait alors décidé que, pour les « services spéciaux », elle choisirait les chefs de service sans concours mais qu’ils n’auraient pas droit au titre de médecin ou chirurgien des hôpitaux, obtenu seulement après concours. Pour les services de médecine et de chirurgie, les titulaires étaient choisis par concours et bénéficiaient d’une rémunération annuelle. Les heureux lauréats prenaient le titre de « suppléant » , faisaient office d’adjoint, et succédaient au chef de service. Le concours de médecin ou chirurgien suppléant était donc le sésame pour la titularisation hospitalière. Si la spécialisation des médecins titulaires était reconnue, il n’en était pas de même pour un corps de spécialistes recrutés sur des compétences spécifiques. La Commission administrative hésitait à créer un tel corps qui risquait, à ses yeux, de gêner une spécialisation tardive de médecins ou chirurgiens déjà titularisés. Sur sa demande, l’administration des Hospices de Nantes fit en 1907 une enquête auprès d’Hôpitaux de plusieurs villes, notamment Angers, Bordeaux, Lyon, Marseille, Toulouse et Lille, pour savoir comment étaient organisées les spécialités d’ophtalmologie, de laryngologie, de radiologie, et de chirurgie dentaire fig.8). Pour l’ORL, on y apprend qu’il n’existait alors qu’une Clinique ORL, à Bordeaux, où avait été créé en 1891 le premier enseignement officiel de l'ORL en France avec un "Chargé de cours" d'ORL ( fig.9). Hormis Bordeaux, il n’y avait pas de service ORL autonome. Dans certains hôpitaux, des consultations ou des services annexes étaient rattachés à des services de médecine ou de chirurgie. À Paris, quelques médecins et chirurgiens des hôpitaux s’étaient spécialisés dans une des branches de l’ORL et avaient ouvert des consultations officieuses. Il avait fallu attendre 1895 pour que l’Assistance publique donne l'estampille officielle à la "Consultation des maladies du larynx et du nez de l'hôpital Lariboisière". En novembre 1897, un arrêté reconnaissait la spécificité ORL du service appelé désormais "Clinique des maladies du larynx, du nez et des oreilles". En 1899, l’Assistance publique créait le corps des ORL des hôpitaux et donnait ce titre à un médecin des hôpitaux et à un chirurgien, professeur de chirurgie à la Faculté.
L’enquête nantaise de 1907 révélait que l’activité ORL était exercée essentiellement par des ORL non titulaires, sans rétribution ou avec des émoluments très inférieurs à ceux des médecins et chirurgiens titulaires. Malgré le résultat de cette enquête, grâce à l’intervention du Conseil de santé représentant le corps médical titulaire, fut reconnu à Nantes un corps de spécialistes « en tous points assimilés aux chirurgiens et médecins des hôpitaux » ( fig.10 et 11). La Commission administrative décida de titulariser officiellement le chef de service d’ORL et celui d’électrothérapie et de radiographie, sans avoir à passer de concours, leur compétence étant largement reconnue. Ils furent nommés avec les mêmes émoluments et prérogatives que les médecins et chirurgiens nommés au concours. En particulier, ils avaient droit à la collaboration d’un suppléant nommé au concours. La seule différence était qu’ils ne pouvaient être chargés que des services de leur spécialité, ni faire partie des concours pour les suppléants de médecine et de chirurgie. Dès 1908, un concours de chirurgien ORL suppléant (fig.12) fut organisé, brillamment remporté par Louis Levesque. Si les interrogations du concours devaient porter sur des sujets de la spécialité, il n’était pas nécessaire, pour s’inscrire, de faire état de la moindre compétence dans le domaine de la spécialité.
Les Docteurs Texier et Lévesque, associés en ville dans une clinique place Canclaux, développèrent l’activité hospitalière dans des locaux partagés avec l’ophtalmologie. En 1919, le Docteur Texier se plaignait de n’avoir ni externe ni interne malgré une grosse activité. À l’appui de sa demande, il faisait état d’une progression d’activité avec un nombre de nouveaux malades passé de 1029 en 1903 à 2302 en 1919 (fig14). Il notait qu’en 1919, il avait effectué 70 « graves opérations sous anesthésie générale », et plus de 650 sur le pharynx (végétations et amygdales), et 200 interventions sur le nez. Il écrivait : « j’insiste en terminant sur le grave danger qu’il y a à faire donner le chloroforme et le chlorure d’éthyle par des élèves volontaires qu’on ne connaît pas et qui ne peuvent pas avoir suffisamment l’expérience de l’anesthésie générale ». En 1921, il obtenait l’installation d’un appareil de stérilisation dans ses deux salles d’opération. Outre son activité hospitalière, Victor Texier enseignait la spécialité, d’abord officieusement. Dès 1896, Pr Malherbe, directeur de l’École de médecine de Nantes, l’autorisait à faire des conférences de rhinologie, otologie et laryngologie avec pour but :’ de pouvoir rendre service dans le cours de la pratique médicale ». L’enseignement de l’ORL prendra ultérieurement une teinte plus officielle avec désignation ministérielle d’un « chargé de cours de clinique annexe d’Oto-rhino-laryngologie ».
À la suite du décès du docteur Texier en 1932, un concours de suppléant fut ouvert qui permit la nomination du Docteur Julien Viel. En 1935, l’ouverture d’un autre concours de suppléant après la disparition du Docteur Lévesque permit la nomination du Docteur Fernand Baron. Si Victor Texier développa pendant plus de trente ans l’ORL dans les Hospices de Nantes, Fernand baron y exerça pendant quarante ans puisqu’il prit sa retraite de Professeur titulaire de la Chaire d’ORL et chirurgie cervicofaciale en 1975. Il participa activement à la grande mutation de la discipline, et notamment dans le domaine de la chirurgie cancérologique ORL pour laquelle il fut un pionnier dans l’Ouest. Pendant ces quarante ans, l’hôpital passa du statut d’établissement réservé aux indigents à celui de Centre Hospitalo-Universitaire. Il développa la chirurgie cancérologique ORL et fut ainsi un pionnier de cette chirurgie dans l’ouest. De 1948 à 1958, Fernand Baron a été élu président de la Commission consultatitive. Il fut parmi les premiers nantais qui optèrent pour le nouveau système hospitalo-universitaire temps-plein qui venait d’être créé, dès 1962, et fut nommé titulaire de la chaire d’ORL et chirurgie cervicofaciale en 1966. Il créa peu après l’école d’orthophonie de Nantes.
Ainsi, dès sa création, la spécialité oto-rhino-laryngologique fut non seulement bien accueillie dans les hôpitaux de Nantes mais elle y trouva très tôt un terrain favorable au développement de son double aspect médical et chirurgical. L’ORL était considéré à Nantes comme un « chirurgien spécialiste ». Ce fait mérite d’être souligné car tel ne fut pas le cas dans toutes les villes de France. Dans certaines villes, les ORL rencontrèrent une hostilité plus ou moins ouverte au développement officiel de leur spécialité dans l’hôpital, provenant le plus souvent de « ténors » locaux de chirurgie générale qui voyaient d’un mauvais œil une partie du territoire chirurgical leur échapper. Certains spécialistes furent ainsi hébergés par des services de médecine, notamment en neurologie ou en dermatologie, pour assurer des consultations.
Nantes eut la particularité d’avoir en ville, entre les deux guerres, un otologiste de réputation mondiale, Maurice Sourdille. Sa célébrité était due à la mise au point de la fenestration, première intervention permettant d’améliorer l’audition dans l’otospongiose. Il s’intéressait aussi à la pathologie sinusienne et publia en 1926 plusieurs observations d’ablation de tumeur de l’hypophyse par voie nasale . On lui doit aussi le premier véritable microscope opératoire. Il fut nommé professeur suppléant des chaires de pathologie et clinique chirurgicale de l’École de médecine de Nantes en 1922. En 1932, il devint professeur titulaire de pathologie externe et de médecine opératoire, ce qui lui permit de faire ses travaux expérimentaux dans de bonnes conditions. Il exerçait l’ORL en ville dans la clinique qu’il avait créée avec son frère Gilbert, titulaire de la chaire d’ophtalmologie. Il termina sa carrière à Strasbourg où il fut nommé, à la fin de la guerre, professeur titulaire de la chaire d’ORL.
1demande_gouraud_1885 2accord_medecinspour_gour_4
Fig.1
Fig. 2






3lettre_syndicat_1893 4lettre_maire_syndicat1893
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5demission_gouraud1899 6lettre_texier_rempl._4af53
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7choix_texier_sans_concours 8demandehxnantes_enquetejpg
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9resultat_enqueteorl1907 10deliber_ca_texier1908
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11_prefet__concoursorl1908 12affiche_concoursorl1908
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13orl_ophtal_1910__ 14activiteorl1920
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Nantes ORL